par Gérard Keck, Professeur à l’École Nationale Vétérinaire de Lyon et Séverine Sabia, Ingénieur Docteur, spécialiste de l’Épidémiologie à l’INSERM.
Constats et observations :
Les premières études qui ont montré, il y a 20 ans, une diminution de 50% des spermatozoïdes chez les hommes sur une période de 50 ans, ont été confirmées. Les molécules incriminées sont les perturbateurs endocriniens tel le bisphénol A, dont on s'est rendu compte de l'action au cours d'expérimentations animales durant lesquelles le plastique du tube à essai se comportait comme un œstrogène. Le bisphénol A se retrouve en effet dans le polycarbonate, un type de matière plastique très courant. Mais ce n’est pas le seul perturbateur endocrinien connu ; citons aussi la famille des phtalates. D’autres observations ont mis en évidence le rôle de la pollution chimique (pesticides, insecticides) sur l'appareil reproducteur de certaines espèces animales.
Des expériences montrent l’effet des perturbateurs endocriniens :
Le fœtus est initialement de sexe féminin. La première étape de la masculinisation est le développement des testicules, chez le mâle, puis la formation d’hormones, notamment la testostérone. Une perturbation endocrinienne à ce stade pourrait avoir des conséquences irréversibles. Dès lors, une politique fondée sur le principe de précaution a été mise en place au Danemark en 2006, recommandant aux femmes enceintes de ne pas s’approcher de plastiques ou de cosmétiques. Les œstrogènes de synthèse pour prévenir les fausses couches sont aussi suspectées d’être à l’origine de malformations, surtout chez les filles, et à l’origine de cancers. Une autre étude s’intéressant à la qualité du sperme confirme l’hypothèse selon laquelle les produits chimiques l’altèrent : on a comparé les échantillons d’hommes vivant en milieu urbain à ceux vivant en milieu agricole. Il en ressort que les hommes vivant en milieu agricole avaient une quantité plus importante de pesticides dans le sang et une plus mauvaise qualité de sperme. Une expérience a montré le lien entre la présence de phtalate dans le sang d’une femme et la non-descente des testicules de son enfant.
La directive Reach, réponse des politiques :
Reach, acronyme anglais pour « Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques », est une directive européenne entrée en vigueur le 1er juin 2007. Elle rend obligatoire l’enregistrement des produits et tests de sécurité des 30000 produits chimiques répertoriés d’ici à 2018. Cette directive a été saluée par les ONG de défense de l’environnement et de la faune. Elle entraîne un changement majeur : soit on arrive à prouver l’innocuité des produits chimiques, soit ils sont retirés de la vente. Les ONG regrettent toutefois les faveurs faites à l’industrie. Le 28 octobre 2008, l’Agence Européenne des Produits Chimiques publie une liste évolutive de 15 produits dits « Substance Extrêmement Préoccupantes ». Pour ces produits, les fournisseurs doivent obligatoirement avoir une politique de communication et d’information adaptée.
Les industries européenne et américaine opposées à Reach :
Normalement, les produits préoccupants sont remplacés par des substituts. Les industries ont réussi à obtenir leur maintien en échange d’un contrôle de « manière adéquate ». Avec Reach, certaines entreprises ont cessé de financer et contestent les recherches qui démontrent la toxicité de leurs produits.
Mais certaines sociétés de cosmétiques ont également saisi l'opportunité de proposer des produits sans phtalates ou sans d’autres produits chimiques, ce qui constitue un bon argument de vente.
L’effet cocktail :
On appelle « Dose Dérivée Sans Effet » (DNEL) le seuil de référence d’exposition pour déterminer si un produit a un effet nocif ou non. Notons que la directive Reach utilise cette notion. Si notre exposition est inférieure à la DNEL, on peut considérer que le produit est sans effet pour nous.
Cependant, des expériences montrent que même avec une exposition inférieure au DNEL, des rats subissent des malformations. Cela peut s’expliquer par l’effet cocktail, c'est-à-dire par l'impact d'une exposition cumulée à de faibles doses de produits chimiques différents qui pris indépendamment ne provoqueraient pas d'effets.
Il faut prendre en compte les interactions (entre produits, entre produits et facteurs environnementaux et comportementaux, etc. , des associations qui risquent de révéler leur effets néfastes avec le vieillissement de la population. Mais il existe aussi chez l’homme des perturbateurs endocriniens positifs comme le soja, qui expliquerait le faible nombre de cancers du sein au Japon.
La compréhension des mécanismes synergétiques de l'effet cocktail, passe notamment par la mise en oeuvre de modélisations mathématiques.