L'informatique au féminin
Des pionnières ont tracé la voie en informatique. Aujourd'hui, face à la pénurie de femmes, de nombreuses initiatives prônent la féminisation de ce secteur.

L'informatique au féminin

Elles ont cassé les codes
 
Londres, 1843. La fille du poète Lord Byron s'entiche de la machine à calculer du mathématicien Charles Babbage. Surnommée par son père la princesse des parallélogrammes, Ada Lovelace bénéficie d'une instruction en algèbre et en sciences - fait rare pour les jeunes filles d'antan. Elle conçut l'un des premiers programmes de l'histoire de l'informatique, destiné au calcul des nombres de Bernoulli. En 1977, le Ministère de la défense américaine baptisera en son honneur le langage de programmation, ADA.
 
Etats-Unis, 1943. Grace Hopper s'engage dans la marine américaine ; promue lieutenant l'année suivante, elle s'illustre en tant qu'informaticienne en travaillant sur le premier grand calculateur numérique nommé Harvard Mark I. Elle est l'auteur du premier compilateur (baptisé A-0 System) et des langages de programmation COBOL et FORTRAN - d'aucuns lui attribuent même l'utilisation du mot "bug" en informatique.
 
Au même moment, l'insaisissable Hedy Lamarr, actrice hollywoodienne mondialement célèbre pour avoir joué nue dans Extase, met au point une méthode de codage des transmissions, rendant indétectables les attaques sous-marines durant la Seconde Guerre mondiale. Cette méthode dite d'"étalement de spectre" est d'ailleurs encore utilisée dans les liaisons militaires, le GPS, leWi-Fi et Bluetooth.
 
Sans oublier les crypto-analystes Joan Clarke, Margaret Rock et Mavis Lever qui permirent respectivement le décodage des messages radio de l'armée allemande, de la machine Enigma et des conversations chiffrées de l'armée italienne. Ni les informaticiennes Frances Allen, Adele Goldberg, et Irène Greif à qui l'on doit la simplification et l'accessibilité à tous de l'ordinateur.
 
Des déterminants socio-culturels ?
 
La proportion des femmes en informatique a crû pendant deux décennies, avant que cette tendance ne marque le pas à partir des années 1980. La démocratisation de la micro-informatique et le marketing associé auraient conduit à inventer de toute pièce la figure du "geek" (intello, anti-social, fort en thème, masculin somme toute). Isabelle Collet, informaticienne et enseignant-chercheur à la Section des sciences de l’éducation de l’université de Genève et à l’Institut universitaire de formation des enseignants précise : « avant le micro-ordinateur, personne ne savait ce qu’était l’informatique ; la représentation que l’on en avait alors c’était celle d’un métier du tertiaire ; les filières pour y accéder se nommaient “calculs numériques”, étaient moins prestigieuses, et correspondaient à une certaine représentation qu’on se faisait des femmes scientifiques ». Dans La disparition des filles dans les études d’informatique, Collet avance l'hypothèse suivante : « l’ordinateur se perfectionnant et se généralisant, les fantasmes de pouvoir, de création et de maîtrise de l’univers ont pu jouer à plein chez ces garçons qui s’étaient déjà approprié l’outil. Les filles, elles, ont davantage été élevées pour la médiation que pour l’exercice du pouvoir ». D'aucuns parlent de technophobie, voire d'auto-censure liée au syndrome de l'imposteur, plus présent chez les jeunes femmes que chez les hommes. 
 
De l'intérêt de savoir coder
 
Quoi qu'il en soit, on assiste bel et bien à une pénurie de femmes dans le numérique, qui est dénoncée par des associations féministes comme Duchesse France, laquelle prône une plus grande visibilité des femmes dans les manifestations publiques et les débats ayant trait à l'informatique pour lutter contre les stéréotypes. C'est aussi l'angle de l'association Jamais sans Elles.
 
D'autres associations attaquent le problème à sa source : l'instruction. Citons les initiatives Girls In Web, Les Femmes du Numérique, l'Association Pascaline ou encore Girls Can Code, qui dispense une formation de codage durant une semaine à Paris, aux collégiennes et lycéennes exclusivement.
 
Divers prix incitent les filles à se saisir de l'art de programmer ; la bourse du mannequin Karlie Kloss soutient les jeux femmes préparant un concours d'entrée en école informatique. Elle-même formée à l'informatique, elle déclare : « le codage est un atout de taille dans une recherche d'emploi, et permet de faire une différence considérable. Ce savoir ouvre à de nouveaux plans de carrière, et permet l'ascension dans la hiérarchie d'une entreprise ».
 
Yannis Benzaïd
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